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Poétique de la Terre, nouvel ouvrage d'Augustin Berque

Renaturer la culture, reculturer la nature, par l’histoire : tel est le propos du livre Poétique de la Terre.

Il commence, en première partie, par la question du sujet, en montrant que l’exaltation du sujet individuel moderne a entraîné une décosmisation qui à terme est mortelle, car aucun être ne peut vivre sans un monde commun (kosmos). Nous devons donc recosmiser notre existence.
La seconde partie montre que l’arrêt sur objet propre à la modernité aboutit à dépouiller les choses de leur sens, faisant notamment du langage une aporie. Nous avons à remettre les mots et les choses dans le fil de leur histoire commune (leur croître-ensemble : concrescence), c’est-à-dire à les reconcrétiser.
La troisième partie montre enfin que réembrayer la nature et la culture passe nécessairement par la question du rapport entre histoire et subjectivité, ce à tous les degrés de l’être, allant, par l’évolution, de la vie la plus primitive jusqu’à la conscience la plus humaine...



aller un peu plus loin...

Ce livre ambitionne de surmonter l’opposition que le dualisme moderne a établie entre nature et culture, et par conséquent entre les sciences de la nature et les sciences humaines, en montrant que les limites respectives des traditions de pensée orientale et occidentale peuvent être dépassées rationnellement par une synthèse des avantages respectifs de deux grandes traditions de pensée : l’une qui, en Occident, a mis l’accent sur la conscience individuelle, l’autre qui, en Orient, a mis l’accent sur les liens de la conscience avec le monde.

            Cette synthèse est fondée sur le concept de trajection (通態 tsûtai), qui permet de combiner, dans le déroulement historique de chaînes trajectives (通態連鎖 tsûtai rensa), la logique aristotélicienne de l’identité du sujet (主語の論理 shugo no ronri) et la logique nishidienne de l’identité du prédicat (述語の論理 jutsugo no ronri), ou logique du lieu (場所の論理 basho no ronri). Dans ces chaînes trajectives, il y a indéfiniment assomption du sujet substantiel S en prédicat insubstantiel P, et substantialisation de la relation S/P (i.e. S en tant que P) en un nouveau sujet S’ pour un nouveau prédicat P’ ; soit S’/P’, puis S’’/P’’, et ainsi de suite. Concrètement, cette trajection correspond au passage réversible (通い kayoi) entre environnement (環境 kankyô) et milieu (環世界 kansekai), c’est-à-dire entre le donné environnemental brut (ce qu’Uexküll appelle Umgebung, et Watsuji 自然環境 shizen kankyô) et la réalité sensible (S/P) de ce qu’Uexküll appelle Umwelt, et Watsuji 風土 fûdo.
            Le concept de chaîne trajective permet également de faire la synthèse des deux grandes ailes de la pensée selon Yamauchi Tokuryû, l’aile orientale fondée sur le lemme, et l’aile occidentale fondée sur le logos.  L’abstraction propre au logos permet seule l’objectivation nécessaire aux sciences modernes de la nature, tandis que la concrétude propre au lemme permet seule de prendre en compte à la fois, dans le syllemme (le prendre-ensemble, notamment par le symbole) de A 即 soku non-A (A en tant que non-A, i.e. A est/n’est pas non-A), l’existence du sujet et celle de l’objet. Le déroulement historique de la chaîne trajective permet ainsi de saisir rationnellement la réalité apparemment irrationnelle du S en tant que P, c’est-à-dire concrètement de l’Umgebung als Umwelt, ou du自然環境即風土 shizen kankyô soku fûdo, i.e. de l’environnement en tant que milieu.
            Cette synthèse permet de refonder, au-delà du dualisme moderne classique (celui de Descartes et de Newton), une mésologie (Umweltlehre, 風土学 fûdogaku) en accord avec la physique contemporaine, qui comme l’a montré Heisenberg porte sur la relation à la nature plutôt que sur la nature comme objet, ainsi qu’avec l’accent que la biologie met aujourd’hui sur la dynamique épigénétique plutôt que sur l’identité du seul génome. Le livre réexamine sur ces bases la théorie de l’évolution, et notamment l’antagonisme entre l’orthodoxie néo-darwinienne et la science naturante (自然学 shizengaku) d’Imanishi Kinji. Il conclut sur la perspective du développement, au XXIe siècle, d’une bioherméneutique prenant en compte le sens de son milieu pour tout être vivant, et la possibilité, pour l’être humain, de poursuivre indéfiniment l’œuvre de la nature.


Vous pouvez aussi écouter l'interview qu'Augustin Berque a donné sur RFI 
http://www.rfi.fr/emission/20140422-1-est-une-poetique-terre/


GRAZIELLA LUISI | Mise à jour le 28/04/2014